Le 7 mars dernier, à l'initiative des Laboratoires Ceva Santé Animale Tunisie, les professionnels de la filière dinde nationale, entourés de représentants du GIPAC, de l'ENMVT et du Conseil National de l'Ordre des Vétérinaires, se sont réunis pour échanger sur les conséquences d'un arrêt éventuel du Nifursol.
Cette réunion, organisée sous la forme d'un dîner débat et animée par le Pr Moncef Bouzouaia et le Dr Jean Léorat (Groupe Chêne Vert, responsable du suivi sanitaire de plus de la moitié des dindes produites en France), a permis de partager le retour d'expérience en France suite à l'interdiction du Nifursol en 2003 et d'envisager les aspects et conséquences pratiques que cette interdiction entraînerait dans notre pays.
Les points clés de ces échanges sont résumés ci-dessous :
1) Concernant Histomonas :
- Histomonas se développe dans le tube digestif principalement à la faveur de troubles de la flore digestive.
- L'histomonose entraîne une mortalité très élevée, pouvant atteindre 20 à 60 % des dindons, avec une sensibilité accrue des premières semaines de vie jusqu'à 8 semaines environ.
- Il n'existe aucun traitement de l'histomonose (mis à part les molécules interdites / DMZ, ...)
- L'épidémiologie du parasite reste encore en partie mal connue : des élevages sur sol cimenté, avec une excellente biosécurité sont fréquemment touchés (donc sans Heterakis intermédiaires, sans insectes , etc ...)
- Des cas d'histomonose sont observés également depuis quelques années en poule pondeuse.
2) Concernant l'arrêt du Nifursol en France :
- Pour rappel, le Nifursol n'est pas un "anti-histomonas" sst, mais un "régulateur de flore digestive". Son arrêt a, par conséquent, eu des conséquences sur le développement de l'histomonose mais aussi sur les pathologies digestives dans leur ensemble.
- L'arrêt du Nifursol en France s'est traduit sur le terrain dans les quelques mois qui ont suivi par de nombreux cas d'histomonose en élevage, mais aussi de cas de botulisme (ce qui pose un autre problème sanitaire) et de nombreux cas d'entérites aux conséquences technico-économiques très lourdes (dégradation sévère des indices de production).
- Cette augmentation de la pathologie digestive est liée à l'association de différents facteurs, notamment l'interdiction d'utilisation des farines animales à la fin des années 90 qui a conduit à l'incorporation de matières premières plus fermentescibles et donc plus propices au développement des dysbactérioses.
- La filière dinde française a été très sévèrement touchée par cet arrêt brutal du Nifursol, se traduisant dans les faits par une réduction drastique de la production de dinde en France (production divisée par 2), voire sa disparition pure et simple dans certains bassins historiques de production (Drôme).
- Différentes stratégies, protocoles, de nombreux produits ont été utilisés pour lutter contre l'histomonose, avec des succès très mitigés et demeurant aléatoires. Ce constat perdure encore 13 ans après l'interdiction du Nifursol en France.
- Des conséquences indirectes ont été constatées suite à cet arrêt : pour tenter de gérer la flore digestive, le recours aux antibiotiques (beta lactamines, macrolides principalement) a très fortement augmenté, avec des niveaux d'utilisation multipliés par 4.
- Certaines énigmes épidémiologiques demeurent quant au mode de contamination des oiseaux, notamment dans des parquets de dinde reproductrices au niveau de biosécurité très élevé. Il est possible que les litières de parquets de dindes ayant développé l'histomonose se retrouvent dans les champs (épandages de fumiers sur de futurs champs de blés), et que le parasite présent sur les chaumes soit ensuite réintroduit dans des bâtiments via la paille issue de ces chaumes.
4) Concernant la position des personnes présentes
- Adhésion au souci des autorités sanitaires de notre pays pour réduire l'utilisation de molécules chimiques en élevage et de contribuer à la production de denrées saines.
- Volonté de travailler en partenariat avec les autorités sanitaires du pays sur ce dossier.
- Demande que toute décision comporte la hauteur de vue nécessaire pour comprendre et anticiper les conséquences d'un arrêt brutal du Nifursol : explosion probable des cas d'histomonose, dégradation des indices technico-économiques conduisant à la disparition de nombreux élevages de dindes organisés au profit d'élevages se livrant à des abattages forains et non contrôlés (utilisateurs de tout ce que le marché noir florissant propose), explosion de l'utilisation des antibiotiques à visée digestive, apparition de cas de botulisme, ... en résumé, un impact économique et sanitaire fort, la disparition d'une partie de la filière dinde structurée au profit d'élevages non contrôlés. Personne ne pourra dire "je ne savais pas".
- Demande que les autorités sanitaires du pays communiquent avec les professionnels de l'élevage pour :
a) définir ensemble un calendrier réaliste de l'arrêt du Nifursol ;
b) définir ensemble les mesures concrètes d'accompagnement. A titre d'exemple, aucun larvicide (utilisé pour lutter contre les populations de ténébrions vecteurs passifs du parasite) n'est actuellement homologué en Tunisie : toutes les mesures, mêmes imparfaites, nécessaires pour lutter contre l'histomonose devront être réunies concrètement dans notre pays avant d'interdire le Nifursol ;
- Propositions réalisées :
a) Ne pas interdire le Nifursol chez les reproducteurs dindes
b) Limiter l'interdiction à la période après 8 semaines d'âge, ce qui laisse un temps de retrait minimal de 5 semaines (femelles) à 8 semaines (mâles), et donc limite considérablement les risques de résidus dans les denrées animales ;
c) Lier l'utilisation du Nifursol à l'établissement d'une ordonnance ;
d) Formation des personnels sanitaires et éleveurs aux mesures de lutte contre l'histomonose ;
e) Travailler sur une traçabilité accrue de la filière dinde afin de garantir, tant pour le nifursol que pour tout autre molécule chimique, les exigences de qualité sanitaire requises.
En conclusion, ce dossier peut être une formidable opportunité pour la filière dinde pour augmenter encore davantage la qualité sanitaire des denrées produites pour le consommateur, ou une menace extrême tant sur le plan économique que sanitaire (cf effets pervers induits) si la transition est brutale.
Ces conclusions s'appuient sur l'étude de cas réels et objectifs, et non sur des suppositions théoriques.
NB : point important : aucune des personnes présentes n'a d'intérêt économique direct ou indirect relatif au maintien de l'utilisation du Nifursol ou de tout autre produit équivalent.
Les présentations du Pr M.BOUZOUAIA et du Dr J.LEORAT sont accessibles dans votre rubrique "Journées scientifique et Techniques"