Afrique Agriculture N°390, sept-oct 2012
Le médicament vétérinaire, questions de valeurs et d’avenir…
Il y a quelques jours, le directeur général d’un laboratoire pharmaceutique, ami et concurrent, me rapportait une anecdote. Dans une discussion avec un haut responsable du Ministère de la Santé, protestant contre la politique étatique fixant à un niveau très bas le prix des médicaments vétérinaires, le fonctionnaire lui rétorqua pour tout argument sommaire et définitif : « Mais vous ne fabriquez pas du Yves Saint Laurent tout de même ! ». Évidemment. Le tube de rouge à lèvres plus important que le flacon d’antibiotiques. C’est une façon de voir… mais pour un industriel de la santé animale, la réalité démaquillée du monde de demain, c’est une planète à 9 milliards de Terriens en 2050, une accélération des besoins en protéines animales notamment en Afrique subsaharienne, une baisse des ressources en eau potable, une explosion du risque des maladies infectieuses émergentes – 75% étant zoonotiques. Bref, quelques défis qui n’ont rien de cosmétique : contribuer à nourrir une population croissante, tirer parti de chaque graine de soja ingérée par un animal, combattre les zoonoses, lutter contre l’antibiorésistance,...
Ces défis ne sont rien de moins que ceux du médicament vétérinaire et ne sauraient être remportés sans lui. Et c’est bien là qu’il faut tirer la sonnette d’alarme. Une forme de « crypto-paupérisation » de la santé animale s’est installée dans de nombreux pays africains, du nord au sud. En voulant faciliter l’accès au médicament pour les éleveurs, en laissant dégénérer un marché à vil prix, parfois de contrebande, les Etats ont oublié le paradigme essentiel : l’accès aux soins raisonnés – et c'est-à-dire parfois, ne pas traiter ! - est ô combien plus efficace que l’utilisation profuse et anarchique de ces médicaments. Or, la réalisation et le financement pérenne de ces soins raisonnés, assumés par les vétérinaires et auxquels contribue –devrait contribuer – tout laboratoire pharmaceutique, sont largement dépendants du prix du médicament, donc de la valeur qu’on lui accorde ; mais on le sait depuis Oscar Wilde « les gens connaissent le prix de tout et la valeur de rien ».
En rabaissant la valeur économique du médicament vétérinaire, on le vide de son potentiel technique de développement et de performances.
Il appartient certes en premier lieu aux professionnels de la santé animale de créer de la valeur, technique et éthique, par leurs actes, leurs produits, mais l’on doit aussi plus que jamais interroger nos partenaires, nos décideurs, et leur demander « Avez-vous pensé à demain ? », qui commence aujourd’hui, voire qui a déjà débuté hier…